15th Marathon de Tana, mon 22ème Marathon
Octobre 2014: J’apprends avec stupéfaction et trop tard que le marathon aura lieu en 2014 après une pause en 2013. Tant pis, ce sera pour la prochaine fois.
Avril 2015: Youpi! Enfin, j’ai une date pour le marathon, espérons qu’ils ne changeront pas d’avis.
Juin 2015: la compagnie d’avion semble avoir des difficultés financières. Serais-je maudite?
Septembre: Inscription OK. Je commence à y croire enfin
Ma préparation
Début de l’entrainement le 22 Juin 2015
C’est une préparation très sérieuse, comme toutes les autres. Bien que mon objectif ne soit pas chronométrique, je tiens à conserver une allure correcte, digne d’une marathonienne.
Quatre séances par semaine avec fractionné court, long, un footing court puis long. Associé à un renforcement musculaire et des étirements complets en fin de semaine.
Enfin, ça y est, j’ai participé à cet événement que j’attendais depuis si longtemps. Comme tous les marathons que j’ai parcouru, celui-ci a été différent.
Mais il était vraiment très spécial pour moi. Parce qu’il se déroule dans le pays qui m’a vu naître et parce que je savais qu’à l’arrivée, toute ma famille serait là pour m’accueillir.

Le plus difficile pour moi a été la température qui a grimpé de 15°C au départ pour culminer à 28°C en plein soleil à l’arrivée. J’étais prévenue mais mon corps ne l’a pas vraiment assimilé.
Néanmoins, j’ai été extrêmement prudente, je ne voulais pas arriver exténuée à l’arrivée et faire peur à ma famille.
J’ai donc bien maîtrisé ma course pour qu’elle soit la plus agréable possible.

Et elle l’a été. J’ai croisé une multitude de regard, provoqué de nombreux sourires, reçu beaucoup d’encouragement, suscité beaucoup d’étonnement.
J’ai couru les yeux et les narines écarquillés. J’ai absorbé cette ambiance. Je me suis délectée de cette ville que je traverse habituellement en voiture les vitres fermées.
C’est la course comportant le plus petit nombre de coureurs à laquelle j’ai participé pourtant je ne me suis jamais sentie seule.
Antananarivo, Madagascar Dimanche 11 Octobre 2015
J4 de notre voyage- Le jour tant attendu
Sommeil perturbé par des soucis.
Le petit déjeuner est pris à 4h45. Il est composé d’un pain au chocolat, d’une gorgée de thé et d’une poignée de raisins secs. Contrairement à d’habitude, je préfère ne pas trop boire car il me semble ne pas avoir vu de toilettes au village marathon hier. Or, il est primordial pour moi d’aller vider ma vessie au moins trente minutes avant le départ.

Nous arrivons sur la zone de départ sans encombre. Aucune route n’est barrée, il est aisé de se garer à moins de cent mètres de la ligne de départ. Quelques coureurs sont déjà présents et s’échauffent doucement.
Après quelques renseignements auprès de l’organisatrice, on m’emmène vers les toilettes situées dans les dédales de l’hôtel de ville. Mais je ne suis pas sûre que tous les coureurs y auront accès.

Sur mon chemin, je croise le père Pedro entouré d’une ribambelle d’enfants. Je suis émue de lui serrer la main et de lui adresser quelques mots de remerciement sur son action dans ce pays qui est le mien.

Quinze minutes avant le départ, les marathoniens sont invités à se présenter sur la ligne pour les vérifications. Tous à la queue leu leu. Pointage des dossards.
La majorité est masculine, il y a quelques étrangers et très peu de femmes. L’ambiance est calme à part un réunionnais un peu excité qui râle à propos de l’organisation mais les organisateurs restent impassibles.
Récit de la course

Père Pedro lance le départ. Un groupe se détache immédiatement et file à une vitesse tellement rapide que plus jamais je ne les reverrai.
Conformément à mes objectifs, je me règle sur une allure raisonnable car j’ai peur que la chaleur annoncée ce matin risque de m’être fatale. Quatorze degré le matin mais dès que les nuages se dissiperont, ce sera une autre histoire.
Le parcours a été étudié la veille, il traverse de nombreux quartiers populaires de la ville ainsi que quelques portions de lignes droites désertes. Avec moins de deux cent participants, je crains de me
retrouver seule à un moment donné.

Pour l’instant, je repère un homme au tee-shirt rouge qui semble évoluer à une allure raisonnable. Je le prend pour lièvre. Il semble connaître son chemin. Il faut dire que j’ai quitté cette ville il y a plus de trente ans et que je me sens en terrain complètement inconnu. Au détour de chaque ruelle se trouve un quartier différent où se croisent les habitants indifférents aux coureurs qui poursuivent leur chemin.
Nous traversons plusieurs marchés où se bousculent chalands et acheteurs du dimanche. Des enfants nous tendent la main, j’y tape de temps en temps. Des gens nous saluent et nous remercient. Merci? De quoi? De nous être déplacés jusqu’ici, de venir les voir? D’être là tout simplement?

Oui, je suis heureuse d’être ici, dans mon pays. J’ai visité tant d’endroit que j’ai failli oublier d’où je venais. Oui, je suis l’une des vôtres, même si je demeure à des milliers de kilomètres, un bout de mon âme et de mon cœur est resté à tout jamais ici.
Je suis donc ce coureur qui semble maintenir une allure correcte et surtout qui connais le parcours. Au cinquième kilomètres, nous sommes rejoints par une jeune fille qui semble à l’aise. Nous discutons tranquillement en faisant connaissance.

Elle s’appelle Stéphanie, 23 ans, et travaille à Tana en tant qu’ingénieur chez un opérateur téléphonique national. Elle a l’habitude de courir tous les jours dont vingt kilomètres parcourus environ 3 fois par semaine mais c’est son premier marathon alors elle reste prudente. Nous restons côte à côte pendant plus de la moitié du parcours mais je sens bien qu’elle a envie d’accélérer.
La circulation n’est pas bloquée et je le conçois tout à fait vu le faible nombre de coureurs, les kilomètres ne sont pas affichés ou du moins ne sont pas visibles, quelques flèches blanches peintes sur la chaussée nous indiquent le chemin à suivre. Les agents de la circulation, en ce dimanche bien chargé, servent de guide. Je demande mon chemin à plusieurs reprises quand le coureur qui me précède disparaît de ma vue. Je m’arrête alors et en profite pour reprendre mon souffle et surtout admirer et apprécier mon environnement.

Je ne reconnais pas les rues que je traverse. Les gens semblent les mêmes depuis que j’ai quitté cette ville il y a plus de trente ans. Et mon regard a changé. Je les vois avec les yeux de touriste mais mon âme malgache reste présente. Je foule la terre de mes ancêtres. Je me sens presque comme un déserteur, un marin qui quitte le navire.
Parfois, je vois mon pays comme un bateau en dérive, je l’aperçois au loin et je me sens impuissante. Beaucoup de choses me révoltent mais je reste les bras croisés, empêtrée, emmurée dans mes propres soucis qui n’en sont pas toujours mais en tous cas qui sont moins importants que ceux des malgaches qui vivent ici.

Nous avons des richesses, non seulement naturelles mais aussi culturelles et spirituelles. Nous sommes un peuple capable de nous en sortir mais quelque chose ou quelques uns semblent nous en empêcher. La colonisation nous a t’elle à ce point rendu dépendants des aides extérieures? Ne sommes-nous pas capables d’avancer par nous-même sans nous mettre des bâtons dans les roues?
Ce fléau de corruption, présent dans presque tous les niveaux de l’administration, parce que chacun essaie de survivre aux dépends des autres, qui va pouvoir ou vouloir le stopper?

Etre révoltée, c’est déjà bien, mais agir, c’est mieux. Sans doute qu’après mon retour vais-je oublier tout doucement mon pays, je reprendrai mes habitudes de bourgeoise égoïste qui court pour le plaisir.
Dont le seul souci est une tendinite du genou ou autre petit bobo. Et je m’inquiéterai de savoir quelle destination exotique je choisirai pour mon prochain marathon.
Eux resteront, tous ceux que je laisse derrière moi, avec leur problèmes de vie, de survie. Ma terre se meurt et en ce moment même, je lui marche dessus…
Mi-chemin, ou presque, je passe devant la maison de mes parents. Par réflexe, je lève les yeux…et j’aperçois mon père au balcon.
“Papa, Papa”, j’agite mes bras dans sa direction, je sais qu’il m’a vue, je suis heureuse qu’il m’ai vue passer car je sais qu’il ne pourra pas être présent à l’arrivée, cela le fatiguerait trop d’attendre en plein soleil. Il a cependant attendu plus d’une demi-heure tout en haut de la maison en espérant m’apercevoir et il l’a fait. Super!
Dix minutes après, tandis que nous abordons un rond point, un taxi nous dépasse, … et j’aperçois ma mère qui m’encourage! Je n’en crois pas mes yeux. J’ai la chance de voir mes deux parents pendant cette course alors que rien, mais rien n’était prévu. La voiture nous dépasse, comme la plupart des véhicules qui circulent en ce dimanche.
Quelques mètres plus loin, le taxi s’arrête, ma mère sort de la voiture et frappe dans ses mains pour m’applaudir. C’est trop génial! Un grand sourire anime mon visage. J’ai vu mes deux parents. Ils comprennent
ma passion.

A l’intérieur d’un bus qui me dépasse, une femme qui m’a sûrement vue à la télé parler du marathon deux jours avant, me lance un mot d’encouragement, deux autres personnes feront de même. J’ai tapé dans les mains des enfants croisés sur la route, on m’a souvent interpellée : ” Courage Neny ô!( Traduction: maman ou grand-mère)” ou “Alefa maman (Traduction: Allez)!” à cause de mes cheveux gris. Et j’ai du m’arrêter plusieurs fois à des carrefours pour demander mon chemin aux policiers car le parcours n’était pas bien balisé. Les spectateurs ont pris Stéphanie pour ma fille: ” Mahafinaritra izy mianaka miara-mihazakazaka! (Traduction: Cela fait plaisir de voir une mère et sa fille courir ensemble)”. Je ne la connaissais pas auparavant mais nous étions un peu perdues toutes les deux.
Nous avions la même allure du moins au début. Nous avons discuté un bon moment jusqu’à ce que je décroche vers le lac Anosy. J’ai appris par la suite qu’elle a fait un podium et je suis très contente pour elle.
C’est ce genre de rencontre imprévue que j’aime. Et pour chaque marathon, c’est une histoire différente.
Je me prends pour une star et je salue tous ceux que je croise.
Nous slalomons entre les voitures qui nous frôlent, les cars qui nous klaxonnent, les autobus et même les camions dont nous respirons les gaz quand ils nous dépassent.

Nous devisons tranquillement tandis que des passants nous dévisagent et parfois nous encouragent. Une importante côte s’approche, j’essaye de maintenir mon rythme, je garde le sourire mais j’ai peur d’y perdre quelques plumes. Il faut tenir encore je ne sais pas encore combien de kilomètres car rien n’est indiqué et je n’ai pas le courage de regarder ma montre. Je marche en pointillés, j’accélère dans la descente.
Au trentième kilomètre, la température grimpe encore, aucun arbre ni ombre à l’horizon, mes pieds commencent à chauffer. Ma tête aussi. Je pense alors à l’arrivée et à mes proches qui m’y attendent. Alors je cours, encore et encore.
Au deuxième stand d’épongeage, les éponges ont manqué, heureusement que j’ai un bracelet en tissu que je trempe dans la bassine. Par la suite, le stand sera plus ou moins équipé et nous ne manquerons plus de rien. J’avais ramené quelques gels que j’avale uniquement par réflexe. A noter, à partir du 20ème, des oranges et du sucre ont été distribué.

Lac Anosy, la fin approche, les foulées sont moins fluides, le petit groupe de quatre que nous avons constitué spontanément au vingt huitième se disloque, je m’en détache ostensiblement et me laisse distancer inexorablement. Je les regarde s’éloigner avec regret mais les jambes et la tête n’y sont plus.
Il ne reste plus qu’un kilomètre, des skateurs qui profitent des avenues vidées de leurs voitures me dépassent, je me laisse emporter par leur enthousiasme et commence à accélérer un peu. Je passe devant le temple de ma famille, puis devant une partie du Zoma (un des plus grand marché à ciel ouvert).
L’avenue est vide, pas de coureur en vue, ni devant, ni derrière moi.
La délivrance est proche. La ligne d’arrivée se profile à l’horizon, j’aperçois juste au-delà mes proches qui m’ont attendu plusieurs dizaines de minutes avant de m’apercevoir au loin. Dans un dernier sursaut, j’accélère tout en arborant un très, très, très grand sourire. Des photographes que je ne connais pas me mitraillent. Mon instant de gloire éphémère. Mais je suis surtout ravie de voir toute ma famille rassemblée autour de moi.

Résultats:
04:22:27 – 67/109 participants- V1F
Je récupère ma médaille avec joie et j’avale une grande gorgée d’eau. Je remercie Stéphanie qui a terminé juste avant moi et avec laquelle j’ai parcouru un bout de chemin.
Après une bonne douche, direction le resto pour fêter cet événement, ensuite … Les vacances commencent…
Quant à la suite, c’est bien la première fois que je n’ai pas encore décidé quel serait mon prochain marathon. Auriez-vous une idée?